Bien baisés

 

Les intéressants débats autour de la question de la monstration de coït au cinéma puis autour du classement X éludent complètement le débat autour du film Baise Moi du strict point de vue artistique. Je propose trois réflexions apparemment iconoclastes si j’en juge par le consensus autour de ce film, que j’ai vu.

D’abord, ce film est tiré – c’est le cas de le dire - d’un livre, et réalisé par l’auteur même du livre. Il est très difficile, lorsqu’on a écrit un livre, d’en faire soi-même un film. On ne peut pas dire que les exemples abondent. L’écrivain a plutôt tendance à vouloir se séparer de son livre. Par ailleurs, à moins d’être un génie polyvalent, un écrivain laisse à d’autres le soin d’adapter son livre au cinéma, et se méfie souvent des résultats. Heureusement, un grand livre, même mal réalisé,  accouche toujours d’un film qui tient debout. Parfois, un mauvais livre ( Le Parrain ) peut faire un grand film si l’auteur ne s’en mêle pas. Je laisse au lecteur le soin de déterminer dans quelle catégorie se placent tant le livre que le film du même nom qui occupent cette première réflexion. Point besoin d’aller voir le film, il suffit d’emprunter le livre dans une bibliothèque (c’est chez Grasset et le prêt en est heureusement gratuit pour l’instant) pour se forger une opinion.

 Ensuite, on fait tourner des comédiens de films X pour un film qui n’est pas censé l’être, c’est à dire un film avec un but autre que celui de montrer des coïts non simulés et sous toutes les coutures. Jouer un personnage au cinéma, comme au théâtre, c’est tout de même un métier. Se faire filmer en coïtant est ce me semble un autre métier, qui sans appréciation morale aucune, fait appel à d’autres ressorts - sinon structures - psychologiques de la part de la personne qui s’y prête. La diction n’y est pas prépondérante, ainsi que le travail autour du corps (eh oui ! du corps ! ), de la voix, du visage, de la psychologie, etc. Je laisse au lecteur le soin de déterminer dans quelle catégorie se placent les deux héroïnes de ce film, qui si elles désirent débuter une carrière de comédiennes pourraient peut-être prendre quelques cours dans les nombreux stages pour débutant qui sont proposés dans ces colonnes. Point besoin d’aller voir le film,  il doit suffire d’emprunter une cassette vidéo où nos héroïnes s’ébattent.

Enfin, voici en guise de synthèse : On prétend faire un film d’auteur, avec des acteurs qui jouent mal et une histoire qui ne tient pas debout. On en fabrique péniblement 1h15 au lieu des 1h45 « réglementaires », et on comprend pourquoi : pas de psychologie des personnages (mais heureusement, comme les demoiselles jouent mal et son cadrées en gros plans, ça donne le change) pas de suspense, et surtout un bon plan média éludant soigneusement la médiocrité abyssale du scénario et des ressorts psychologiques des personnages. A la vérité, l’enchaînement des scènes de tuerie et de baise n’est qu’un roman photo complaisant et écœurant, nullement justifié par la vie des personnages : Pourquoi tuent-elles indifféremment des hommes et des femmes (dernier point soigneusement passé sous silence, car il est impossible du point de vue des personnages de justifier le meurtre gratuit de femmes) ? Pourquoi dans certaines scènes baisent-elles par plaisir puisqu’elles n’aiment pas les hommes ? Pourquoi, pour la même raison, ne baisent-elles pas entre elles ? Pourquoi, au nom de quoi,  la référence à l’islam – comme un cheveu sur la soupe - déclenche-t-elle une tuerie dans une boîte échangiste ?

 De « La religieuse » aux « Versets sataniques », quel grave honneur qu’être censuré ! Encore faut-il le mériter ! Quelle belle publicité – pubis-ité ? que ce Xus interruptus pour ce moyen métrage de série Z !

 Article paru dans Libération